24 avril 1979 (est la date à laquelle j’ai réuni toutes les annotations dans mon agenda 1978 et 1979)
Papa et maman quittent Paris le 14 mars (1978) . Le16, Moro est enlevé et c’est le début d’une longue tragédie.
J’ai oublié de dire qu’à partir du mois d’octobre, la situation se détériore en Iran, avec de nombreux troubles qui se répètent en province mais, pendant longtemps, laissent Téhéran dans l’indifférence. … Aucun de nous ne se rend compte ce à quoi ces troubles vont porter. Aucun de nous n’a conscience de l’immense tragédie qui se prépare pour le pays et pour notre famille. Au mois de février, papa nous dit à table, un jour à propos de l’Europe, “cet immense réservoir de ressources humaines, philosophiques, scientifiques”, qu’elle était vulnérable parce qu’elle ne voulait plus défendre ses richesses et qu’elle en était arrivée au point où ce refus risquait de se transformer en incapacité de se défendre . Enzo lui pose alors la question: “Et l’Iran qui est si bien armé pour se défendre, sera-t-il capable de se défendre”? Et surtout contre des contradictions d’ordre politique et social qui ne pouvaient pas ne pas exploser éventuellement?” Papa répond: “Par certains cotés , l’Iran est encore plus vulnérable que l’Europe”. Il n’ajoute rien et n’explique rien. Au cours de ce séjour, il ne cesse de nous répéter “L’Europe en a pour dix ans, l’Amérique pour cinquante. Allez-en Amérique. Si j’étais vous j’irai en Amérique”. Enzo de lui répondre que s’il voulait s’abandonner au cynisme il irait en Amérique, mais que tant qu’il croirait en l’Europe, tant qu’il aurait de l’espoir, il ne l’abandonnerait pas. Je crois que papa a du le comprendre. Plus tard, le 11 avril, s’est-il souvenu de cette conversation?
…. Revenons à l’année 1978 si pleine d’évènements, riche en hypothèses. En Iran, la situation s’aggrave. Hoveyda est renvoyé au printemps, remplacé par Amouzegar qui fait figure de jeune lion avec un grand avenir. Il a été ministre des finances e du pétrole, il est connu internationalement à cause de sa belle prestance télévisive aux réunions de l’OPEP. Mais il n’est pas plus futé que les autres, si ce n’est pour ses affaires personnelles. Il “obéit”.
A l’origine des troubles iraniens, il y a évidemment la situation sociale très tendue, la mauvaise distribution de la richesse du pétrole, la cloaque de la corruption, l’indifférence du roi au sort de la population, son intéret passionné pour les affaires internationales et pour les joujoux de guerre. Il y a aussi une vilaine histoire de calomnie, lancée en novembre par le futé Nassiri (chef de la SAVAK ) contre Khomeini qui est en exil en Iraq. ) Nassiri écrit une lettre ouverte aux journaux dans laquel il accuse le saint homme de toute sorte de crimes, sodomie, corruption de mineurs etc… Naturellement, cela donne le prétexte aux disciples de Kh. et à lui-meme de rentrer en scène. A partir de là, l’étoile de Khomeini ne cessera de briller (d’une sinistre lueur).
En janvier, Carter se rend en Iran et impose au roi un changement radical de sa politique des Human Rights. Le roi soutiendra souvent par la suite qu’il n’avait pas besoin de ce conseil et qu’il avait déjà l’intention de libéraliser le régime. Avec Amouzégar, cette libéralisation commence sérieusement: entre autres, la censure de presse se fait de moins en moins sentir. Le baillon a été oté e cela provoque dans la presse une réaction prévisible: elle se déchaine contre le régime, dénonce tous les corrompus, attaque le roi. Mais la libéralisation est en cours. Au début du mois d’aout (1978) il y a un terrible incendie dans le cinéma Rex d’Abadan. Les morts sont environ 400. On accuse le régime, ou tout au moins la SAVAK, de l’avoir provoqué, Dieu sait pourquoi. L’affaire est très louche, elle ébranle sérieusement le régime. Personne ne pardonne ces quatre-cents morts au roi et cela creuse un abime entre lui et le peuple. Amouzégar démissione, il est remplacé par un des voleurs les plus notoires de l’establishment. Cela n’arrange pas les choses. Le pays bouillonne littéralement. Maman m’écrit que les accusations contre le roi et toute sa famille sont publiques, le plus souvent obscènes. Le 8 septembre, vendredi, doit avoir lieu le quarantième jour de deuil pour les morts d’Abadan . Diverses manifestations sont prévues. Sans aucun préavis, le régime décide d’établir la loi martiale. Le gouvernement n’est meme pas inclu dans cette décision. Comme gouverneur de la loi martiale, le roi choisit Oveicy (de sinistre mémoire). Décidément le souverain accumule erreur sur erreur. Il dira par la suite, et j’en suis à peu près certaine, qu’on lui a forcé la main. Il est prisonnier d’un noyau de durs qui commencent à comprendre qu’ils vont tout perdre. Toute manifestation est interdite. La loi martiale prévoit qu’on tire sur la foule. Vendredi 8, à Téhéran, elle le fait, en particulier place Jaleh. Il y a plusieurs miliers de morts. A ce point pour la monarchie, c’est vraiment la fin. Khomeiny ne cessera plus de gagner du terrain.
Sur ce, les Irakiens, en un geste de solidarité tout à fait extraordinaire envers l’Iran, demandent à Khomeiny de quitter sur-le-champs leur pays. Khomeiny se rend en France s’installer à Neauphle-le-Chateau, d’où il prépare l’insurrection, lance invective sur invective contre le régime, tout cela sous l’aile complaisante des francais. Ceux-ci sont chatouillés par la présence de ce révolutionnaire dans la terre natale de la Révolution et puis, ils ne sont pas indifférents au fait que Khomeiny pourrait réussir sa révolution. Ils veulent donc le ménager, c’est-à-dire ménager son pétrole et ses futurs rapports avec la France. En fait tout cela est si simple que c’en est banal. Le premier ministre s’en va, remplacé par un vieux général. Papa est nommé vice-ministre de la Cour et administrateur des finances royales, “comptable” comme il dit. Il ne reste d’ailleurs plus grand’chose à administrer.
(A suivre)
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