Jeudi 1 février (Le début de la fin)
Khomeiny est rentré ce matin en Iran au milieu de l’enthousiame de 4 millions de personnes. Il s’est rendu à Béhecht Zahra sur les tombes des “martyrs de la révolution” et il a fait un discours dans ce cimetière, annonçant les différents points de son programme politique: Le gouvernement, a-t-il dit, c’est moi. C’est moi qui doit nommer les ministres et quiconque ne reconnait pas mon autorité sera mis sous procès. Son programme: mise en place d’un conseil révolutionnaire, référendum, constituante, élections législatives, tout cela dans le proche avenir.
Maman m’appelle, me raconte qu’elle a parlé à papa dont l’analyse de la situation est la suivante: le pays ressemble au type qui se jette d’un gratte-ciel et, à chaque étage qu’il passe, se dit que ce n’est pas si mal, après tout. En attendant, il continue à tomber. Maman me dit que papa ne quittera pas l’Iran parce qu’il a à faire et parce qu’il a vu tant de lacheté autour de lui, une fuite si généralisée devant le danger qu’il refuse d’en faire autant. Je suis démoralisée et très enrhumée. J’ai l’impression que le cafard (constant) affaiblit mon organisme.
Enzo pense que la guerre civile est désormais inévitable. De toute part il y aura des ruptures. Au sein du FN, de l’armée: Et puis il y a des éléments qui ne se sont pas encore manifestés sérieusement: les tribus, l’armée, la bourgeoisie.
Vendredi 2 février (en recopiant ces notes à cinq mois de distance, j’ai tellement l’impression qu’en ces jours-là commençait le compte à rebours et qu’aucun de nous n’a vraiment su le percevoir).
Avons une longue conversation avec Enzo qui me dit que Bakhtiar doit reprendre l’initiative qu’il a perdue en laissant rentrer Kh. Selon lui, La république islamique se fera parce que Bakhtiar accumule les erreurs.
Samedi 3 février
Kh. annonce qu’il armera la population et prendra le pouvoir par la force si Bakhtiar ne démissionne pas. Il annonce la formation prochaine du conseil de la révolution qui devrait préparer le référendum et les élections En attendant, il fait des bains de foule, tandis que que ses proches (Yazd, Ghotbzadeh…) tirent les ficelles.
Dimache 4 février
Bakhtiar a dit que quiconque est libre dans une démocratie de nommer un gouvernement de son choix. Mais que si on essaye de gouverner à sa place, il répondrait par la violence et l’arrestation. Il est très énergique et prend son temps. Peut-etre a-t-il raison d’attendre que Kh. commence à commettre des erreurs. En attendant, il y a en Iran trois milions de chomeurs, tous les produits essentiels manquent et on ne peut, comme dit Enzo, vivre d’air pur et de Kh.
5 février
Kh. annonce pour cet après-midi la formation du conseil révolutionnaire. Papa m’appelle pour me dire qu’Enzo doit absolument vendre l’appartement à La Tsoumaz, meme au-dessous de son prix car “ta mère et moi allons avoir de graves difficultés financières très prochainement et avons besoin de cet argent.” Je lui demande quels sont ses projets. Va-t-il s’installer en France, vivre en Iran? La ligne tombe. Sans doute papa est-il soulagé de ne pas devoir répondre à mes questions. C’est le genre de questions qu’il détest et que je suis obligée de lui poser, vue mon inquiétude. (Je me souviens que quand la ligne est tombée, j’ai eu beau crier papa, hallo papa, personne ne répondait plus sinon l’écho de la propre voix. Cela m’a fait un effet très désagréable.) J’ai aussi demandé à papa ce qu’il pensait de la situation. Il m’a dit ( pour me rassurer?) “je crois que le ministre va gagner.” Il avait l’air de parler sur table d’écoute et a utilisé le mot ministre au lieu de PM pour indiquer Bakhtiar.
Mardi 6 fèvrier
Mehdi Bazargan, ancien ministre du pétrole de Mossadegh, l’un des chefs historiques du FN, ami personnel de Bakhtiar, est nommé par Kh. chef du gouvernement provisoire de la prochaine république islamique. Il semble qu’il essaye de faire l’intermédiaire entre Kh. et Bakhtiar. Les gens continuent à manifester en faveur de Kh. contre Bakhtiar.
Mercredi 7 février
Kh. menace de déchainer les populations. Bakhtiar réplique qu’il répondra à la violence par la violence. Impasse. Personne ne sait comment réagira l’armée.
Mercredi 8 février
Bazargan présente son programme à l’université de Téhéran. Six points essentiels (ou mieux six étapes, selon lui.) Troublé et inquiet à cause des désordres, il senble avoir choisi de procéder graduellement. Après la démission de Bakhtiar: référendum institutionnel, élection d’une constituante, élaboration de la constitution, élections législatives.
Bakhtiar réplique que le seul gouvernement légitime est le sien e promet élections e référendum. Il le fera si on le laisse faire. (Enzo et moi étions très contents ce soir-là. Nous ne doutions pas que la nuit suivante l’insurrection allait éclater.)
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